Luanda : la bataille de la Toussaint 1992

Article : Luanda : la bataille de la Toussaint 1992
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3 février 2016

Luanda : la bataille de la Toussaint 1992

Il y a 14 ans, les armes se sont tues, le calme est revenu et la vie a repris son cour. Aujourd’hui, Il n’y a plus des raisons de s’inquiéter d’une reprise d’hostilité et je peux vous assurez : « storm is over ». Mais tout n’est pas pour autant rose. Je ne sais si 27 ans de guerre civile, nous ont marqué au fer rouge. Une chose est sûre, je ne suis plus tout à fait le même garçon que celui qui a assisté à la bataille de la Toussaint 1992 à Luanda. Bien sûr, les larmes ne viennent plus comme avant et les mots ont du mal à s’enchaîner pour mieux décrire cette horrible descente aux enfers du 1er au 2 novembre 1992.

Premièrement, il y a d’abord une extrême anxiété face à la situation. Les militaires armés jusqu’aux dents, les balles qui fusent de partout, le coup de mortier par ci par là, les pilleurs ou les fuyards paniqués… On ne comprend plus ce qu’il se passe et ce qu’il faut craindre. Jamais je n’avais connu cette peur au ventre qui use et affaiblit.
Deuxièmement, il y a ce sentiment d’être tout seul et désemparé. On a beau être toute une famille, toute une communauté, mais en réalité personne ne pouvait rien faire pour l’autre et au cas où… ce sera chacun pour soi et Dieu pour tous.
Troisièmement, il y a ce sursaut de colère à l’égard de ces irresponsables politiques et militaires qui s’amusent avec la vie humaine rien que pour satisfaire leurs caprices. Mais aussi à l’égard de la communauté internationale qui comme dans tout les conflits ne peut strictement rien pour le petit peuple.

Quand ça crépite de gauche à droite, c’est « cache-toi ou crève ». Le plus évident c’est l’affliction face à tant de violence et de cruauté excessive, mais aussi l’ignorance et l’incompréhension de la situation. La puissance des tirs est en fait le seul indicateur de la tournure des évènements. Combien de temps cela va durer ? Qui est en train de prendre le dessus ? Est-ce des barbares qui appuient sur la gâchette ? Est-ce l’UNITA ou le MPLA qui gagne le terrain ? Dans notre trou, nous étions aveugles et  sourds. Les quelques informations qui nous parvenaient étaient la plupart du temps en décalage avec la réalité du “front”.

Enfin, il y a la vulnérabilité. La vulnérabilité d’un adolescent face à ses cauchemars. La prise de conscience brutale que tout pourrait s’arrêter là. Que la vie est éphémère. Nous sommes éphémères, et cela devient une obsession…  Lorsque tout se termine, lorsque le silence se fait plus long, c’est l’euphorie qui nous envahit. Le soulagement d’en être sorti. Mais au moment de réaliser ce qui s’est passé, quand on compte les blessés et les autres, c’est un frisson qui nous parcourt le corps.

Heureusement, notre baptême du feu a été de courte durée. Malgré le nombre de victimes (1 200 morts selon l’ONU), je ne me permettrai certainement pas de penser que nous avons connu « la guerre à Luanda ». Ce serait manquer de respect à l’égard des vraies victimes du conflit fratricide qui a ravagé l’Angola pendant près de trois décennies. Comparés aux victimes des conflits interminables, nous n’avons eu droit qu’à un échantillon de bêtise humaine.

Nous avons vécu deux jours de combats dont l’issue était certaine et dont nous n’étions ni la cible, ni l’enjeu. C’est bien peu de choses au regard de ce qu’ont enduré les provinces du Sud et de l’Est de l’Angola, ce que vit au quotidien le peuple syrien, sud-soudanais et congolais de l’Est (RDC). Aujourd’hui, j’ai le sentiment de comprendre un peu mieux qu’hier cette planète qui souffre. Ces 48 heures de descente aux enfers ont levé un coin de mon voile d’indifférence. Parce que paradoxalement, la guerre, ça rapproche aussi. De la même manière que je ne voyais plus de la même façon nos voisins, je me sens un peu plus proche des réfugiés syriens, somaliens, érythréens et de tous ceux qui, un jour, ont eu peur d’un fusil.

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Commentaires

christian
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bonjour, je trouve votre article seulement aujourd'hui en 2018 ; j'avais alors 37 ans ; j'ai vécu ces moments intensément de A jusqu'à Z, je me souviens de chaque heure ; permettez moi de vous dire qu'il y a eu bien plus de 1200 morts et cela a duré bien plus que 48h .

JosephVed
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